Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle François, on me connaît le plus souvent sous le nom de DJSE, je suis donc DJ mais aussi producteur depuis environ une quinzaine d’années.
Je suis arrivé en Calédonie en 1999, et depuis ce temps là je suis actif dans le milieu hip hop et électronique, avec quelques petits passages par le milieu free party et quelques résidences en club.
En 2005, avec un ami (K’Sir) on a monté le 1er label hip hop local, à savoir Keskiya Prod., toujours actif aujourd’hui. À ce jour on a sorti 6 ou 7 projets physiques, que ce soit les maxis et album d’Ybal Khan, les 1er maxis de Kydam et Daddy Max One, ou encore les mix-tapes ‘’Interdit à la vente’’.
Parallèlement à ça, j’ai aussi sorti de mon côté quelques projets plus électroniques, dont certain sont signés sur différents labels aux USA, en Belgique ou encore en Angleterre. Et sinon j’ai 2 chats 🙂
Comment ça a commencé pour toi, le son ? Toi aussi, t’as découpé des bandes à magnéto ?
Presque, j’ai d’abord commencé par le DJing en assurant la programmation dans les booms de ma sœur ou pour les potes, genre vers 12-13 ans. C’était très bricolage, avec des spots qu’étaient en fait des ampoules peintes en couleur, contrôlées par des interrupteurs récupérés un peu partout et collés sur une planche, une installation pas vraiment aux normes électriques on va dire…
J’avais aussi la chance d’avoir un poste qui pouvait lire les 2 cassettes en même temps, du coup c’est comme ça que j’ai fait mes premiers calages. Ça ressemblait plus à une envie de faire quelque chose plutôt qu’a quelque chose de concret, mais disons que c’est arrivé par là.
Pour la prod. c’était un peu la même mais version informatisée. Grace à mon père j’ai eu accès assez tôt à un ordinateur et j’ai vite compris qu’on pouvait faire du son avec tout ça. Enfin mes 1ères ’’compositions’’ si on peut appeler ça ainsi, c’était des bouts de musique copiés collés, assemblés avec d’autre bouts de morceaux, tout ça avec le magnétophone de Windows. J’y passais des heures, du coup quand j’ai eu mon 1er vrai séquenceur (Making Wave), t’imagines pas comment ma vie à changé, ajoute à ça la version démo (puis complète) de Rebirth et voilà mes vrais débuts dans la prod…
« L’important c’est l’esprit, le son n’est qu’un support après tout. »
On te connaît surtout pour ta maîtrise et ta connaissance du son hip hop. Le peura, c’est quoi pour toi ? Du kif, une philosophie, un engagement… les trois ?
Le hip hop c’est ce que j’aime définir comme ma culture de base, même si j’ai jamais été uniquement hip hop à 100%. Quand je découvrais cette culture, je kiffais aussi des sons comme French Kiss de Lil Louis ou encore Nirvana.
Ma vision du hip hop est assez proche de l’état d’esprit original, c’est-à-dire que je vois ça comme une culture qui se nourrit d’autres cultures. C’est une musique née de plusieurs musiques, comme peut l’être la house par exemple, du coup quand on s’y intéresse vraiment, on est obligé d’aller voir d’où ça vient.
C’est une culture qui est souvent complémentaire de ce qu’on est à la base, et elle se nourrit de ça pour avancer à travers le monde.
Aujourd’hui la ‘’pensée globale’’ dans ce milieu pose un âge d’or à peu prêt au milieu des 90’s, et on voit plein de jeunes groupes qui arrivent en ayant la volonté de reproduire le son de l’époque, et tout le monde dit ‘’ça c’est du vrai hip hop’’, mais pour moi le hip hop ne doit pas se contenter d’être un cliché de lui-même, ça doit avancer, évoluer, que ce soit en bien ou en mal. Je trouve plus d’intérêts et de créativité dans une prod de Lil Jon que dans une prod, aussi bonne soit-elle, qui sera calquée sur un son de DJ Premier de 97.
En 97 on considérait que l’age d’or du hip hop c’était la période 87-92, t’imagine si la mentalité avait été la même qu’aujourd’hui, à faire du son ‘’comme avant’’, on aurait une culture figée depuis 20 ans. Des l’instant où une culture se contente de reproduire ses propres schémas sans y apporter de nouveauté, elle devient figée et n’évolue plus.
C’est peut-être pour ça qu’en ce moment beaucoup de DJ hip hop (car je suis loin d’être le seul) se tournent vers d’autres sons comme le dubstep ou l’electro, dans lesquels il y’a encore cette volonté et cette possibilité d’amener et de ressentir de nouvelle choses, de nouvelle sonorités, et une partie du hip hop d’aujourd’hui intègre ça dans sa façon de sonner, les puristes crient au scandale, sortent des étiquettes du genre ‘’abstract’’ alors que c’est ça le vrai hip hop, c’est quelque chose d’inscrit dans son temps et qui va de l’avant…
On vit avec l’esprit hip hop originel, même si cet esprit ne s’exprime peut être plus à travers la musique qui y est officiellement associée, l’important c’est l’esprit, le son n’est qu’un support après tout…
Tu excelles autant dans le groove que dans l’ostéopathie à la scie sauteuse. Les extrêmes, ça te connaît. Comment tu te définis dans le microcosme musical actuel ?
Je suis juste ancré dans mon époque. Je me sens pas spécialement à part dans le milieu musical, peut-être un peu en Calédonie, mais c’est parce qu’ici les choses arrivent plus lentement. Mais sinon quand je vois les gens qui viennent aux soirées dans lesquelles je joue, enfin surtout pour les moins de 30 ans, la génération qui s’est forgée avec internet, les ipod et tous ces trucs, je ne me sens pas en décalage, je n’ai pas l’impression de faire un grand écart musical permanent, parce que toute cette génération vit la musique quasiment de la même manière que moi. Enfin dans le coté éclectique je veux dire.
On vit dans une époque où tout est accessible et rapidement, où on écoute la musique comme on mange un bonbon, en écoutant 30 secondes d’un son, 30 secondes d’un autre, la lecture aléatoire qui te fais passer d’un style à un autre sans que tu ne touches à rien. T’imagines y’a 30 ans le bordel que c’était pour changer un disque, fallait déjà le trouver dans la pile, le mettre, sans le toucher avec les doigts, parfois le nettoyer. C’était pas le même mode de consommation.
Avec le CD les choses ont évolué, mais c’était encore un peu la même. Alors que maintenant la musique est quasi gratuite, plein de choses sortent, tout est accessible du moment que t’as une connexion internet. Donc forcément cette manière d’écouter la musique influence notre manière de la jouer ou de la créer.
Les anciens diront que c’était mieux avant, perso je préfère maintenant. Les choses sont d’une certaine manière plus simple et plus accessible pour tous. Aujourd’hui tout le monde peut être DJ ou producteur, et même si je suis un peu de la génération passée où les choses étaient plus compliquées et donc avaient d’une certaine manière plus de valeur (3h passées dans un shop de disque pour trouver UN maxi, j’ai connu ça aussi 🙂 ), je préfère l’époque qu’on vit en ce moment, car elle nous incite à aller encore plus loin pour se démarquer, dans la prod ou dans le mix.
Et forcément les DJ qui se trimballaient 30 kilos de disques et dont la seule prouesse technique était de réussir à les maintenir calés pendant 3 minutes, ça les fait un peu chier quand un p’tit jeune peut avoir le même bac dans une clé usb et appuie juste sur un bouton pour que ça se cale tout seul. Mais c’est l’évolution, et ce qui était difficile devient facile.
Mais les gens travailleurs existent toujours et donc ils trouvent d’autre truc pour se démarquer, ils amènent la difficulté à un autre niveau. Sinon on aurait très bien pu rester à l’époque disco ou les mixs étaient faits avec aucun calage, les gens kiffaient tout autant 🙂
« Avant je me mettais des barrières, un peu comme si j’étais schizophrène. Je me suis dit qu’il était temps d’arrêter d’essayer de plaire. »
En tant que producteur, là aussi tu brouilles l’écoute : electro clash, hip hop, fidget, tu es un vrai touche-à-tout. C’est quoi au fait, la musique qui te fait vibrer ?
Je suis un grand fan de Nirvana (et c’est pas juste un euphémisme). Mais sinon j’aime généralement la musique qui dégage une certaine énergie, quand il y a de l’événement, des changements, quelque chose de fort et éventuellement quand ça fait vibrer les sub, mais j’aime aussi les choses plus légères, plus pop, il m’arrive d’accrocher sur certains trucs un peu hypnotique, mais c’est une facette de la musique que j’associe au passé. Sinon j’aime aussi des trucs plus posés quand je suis à la maison, un piano et une voix ça suffit largement aussi pour me plaire.
Avant je me mettais des barrières, un peu comme si j’étais schizophrène. J’arrivais en soirée et essayais au maximum de m’adapter, comme un caméléon, de me fondre dans le son des autres DJ, en restant dans le même style, genre ‘’ce soir je suis un DJ house’’. Mais c’était très frustrant musicalement et par forcement plaisant à faire techniquement.
Et puis avec le temps, et en voyant certain autres DJ à travers le monde qui avaient ce côté ‘’multi-cultures’’ ou un certain éclectisme (des gens comme DJ Mehdi (RIP), Teki Latex, A-Trak, Missill…) et qui arrivaient à l’assumer, je me suis dit que peut-être il était temps de faire ce que j’aime, d’être moi-même et d’arrêter de me soucier de ce qu’on en pensera, d’arrêter d’essayer de plaire en fait.
Ybal Khan, Kydam, Vincent Lépine, Manuella Ginestre : quelles sont les affinités que tu partages avec les artistes avec lesquels tu bosses ? Qu’est-ce qui vous réunit ?
Pour Ybal on se connaît depuis le lycée, on a formé un groupe ensemble à l’époque et par la suite il a pris son envol en solo et moi j’ai arrêté d’écrire donc la collaboration est devenu MC/DJ.
Avec 120 c’était à peu prêt à la même époque, vers 2000 ou 2001, je trainais pas mal au damier place des cocotiers, où les danseurs s’entraînaient quasiment tous (y’avait pas de structure comme maintenant) et il a débarqué avec ses lunettes, sa caméra et son air tout gentil en nous disant qu’il voulait nous filmer pour un éventuel peut-être hypothétiquement pas sûr projet d’émission hip hop qu’il voulait proposer à RFO. Et de fil en aiguille on s’est croisé de + en + et des liens d’amitié se sont tissés. C’est lui qui m’a présenté Manu qu’il connaissait à travers le cinéma.
C’est des petits milieux ici, donc on est susceptible de tous se rencontrer, ensuite quand il y’a un feeling qui passe bien, les contacts restent et voilà.
Pour Kydam on s’est rencontré à travers la musique. Il a débarqué un jour chez K’Sir, à l’époque où j’étais en France pour les études, c’était la période où avec Keskiya Prod. on passait des appelles aux MC dans les quelques articles que la presse faisait sur nous. Kydam nous a connu comme ça, et le feeling a dû bien passer avec K’Sir, vu qu’ils ont enregistré quelques trucs. Ensuite je suis revenu, et j’ai aussi bien accroché sur son flow et son écriture. Avant son maxi, qu’on a enregistré en 2010, Kydam avait pris un peu de recul pendant 2-3 ans vis-à-vis de la musique, et un matin il a débarqué chez moi en me demandant si ça me branchait d’enregistrer quelque trucs, et voilà.
En général quelles que soient les personnes avec qui je travaille, si je le fais c’est qu’il y a une affinité particulière, sans forcément être les meilleurs amis depuis 10 ans ou ce genre de trucs, mais juste un certain feeling.
J’ai pas mal bossé avec le chorégraphe Soufiane Karim par exemple, et au début quand on a travaillé sur ‘’Sweet Hôm…’’ son 1er solo, on se connaissait peu, mais il y avait un certain feeling qui fait que le travail se faisait plus facilement qu’avec d’autres, et qui fait qu’on a rebossé ensemble par la suite et qu’encore aujourd’hui on se retrouve dans mon studio à bosser sur de nouveaux projets.
Même si je fais de la musique à un niveau semi-professionnel, j’ai pas non plus la volonté de le faire juste pour manger, sinon j’irais faire des pub ou des big mac. Je veux pas m’imposer de collaboration dont je n’ai pas envie, et quand je propose à des gens de travailler avec eux, c’est que j’aime ce qu’ils font et que le ou les personnes ont une sorte d’aura qui me plait, sans forcement les connaitre.
Comment tu vis tout ça ? C’est quoi ton éthique de vie ?
Comme je disais plus haut, j’essais de faire au maximum ce que j’aime en essayant de pouvoir en vivre. J’ai choisi de faire ce que je fais parce que ça me plaît avant tout et même si ça ne me mène nulle part, au moins j’aurais la sensation d’avoir essayé et n’aurai pas de regret.
J’ai fait une grande école en publicité, j’aurais pu continuer dans cette voie et avoir une vie plus que confortable, mais pleine de compromis. Là j’ai la sensation d’être libre, même si on ne l’est jamais vraiment, je vis un peu au jour le jour, j’ai pas de patron, je peux me lever a 15h et rien foutre de la journée en plein milieu de la semaine…
C’est aussi la difficulté du truc, il faut une certaine discipline, se fixer des règles, se poser des dates butoirs pour certains projets, s’imposer des phases d’apprentissage pour rester au niveau, mais c’est toujours très libre.
J’essaie aussi de faire les choses par moi-même, de ne pas être dépendant des institutions et ce genre de chose, par exemple je ne fais pas de demandes de subventions pour mes projets personnels, ni pour le studio. Je n’aime pas l’idée d’une culture qui vit grâce à l’Etat. Mais bon, si un jour un statut d’intermittent se met en place, je serais sûrement ravi d’aller chercher mon chèque. Mais je préfère m’adapter aux conditions plutôt que militer pour les faire changer.
Peut-être que ça peut choquer certains qui ont l’âme de révolutionnaire en eux, mais juste que j’estime qu’on est déjà dans un pays où on a pas mal d’avantages et ça fait enfant gâté de demander plus je trouve… Je suis pas un fervent supporter de ‘’l’artiste assisté’’, même si au fond c’est pourtant ce que souhaitent être beaucoup d’artistes…
Je te remercie pour tes réponses. Quelque chose à rajouter ?
Rien de spécial, merci à toi de m’avoir offert ce petit espace d’expression et j’espère que ton blog prendra de l’ampleur. Et si jamais certains veulent en savoir plus sur ce que je fais, allez faire un tour sur ma page facebook : http://www.facebook.com/djsefb
Le magnétophone Windows ! C’est que t’étais motivé ! A l’époque j’étais sur les trackers (surtout FastTracker 2, le roi des adeptes du demomaking), Windows était louuuuurd. :p
En tout cas bravo pour ton parcours et très clairement, c’est ton éclectisme qui nous fout la patate quand tu mixes !
A bientôt pour faire la fête ! 😉
Ahah les tracker aussi j’ai connu ça, enfin j’écoutais les démo mais j’avais l’impression que c’était trop compliqué du coup je me suis jamais penché sur la parti « création ».
En tout cas merci a toi pour ta présence régulière devant les enceintes 🙂