Peux-tu te présenter ?
Frédéric Herbin, 29 ans. Petit, brun, poids moyen, encore habillé comme un adolescent (enfin un adolescent de la fin des années 90), des Superstars aux pieds, je chausse du 41. Mes cheveux graissent trop vite. Il faudrait que je perde un peu de ventre pour être plus harmonieux. Je suis poilu mais pas trop, et j’ai toujours une petite barbiche sous la lèvre. J’ai un décalage dans ma dentition ce qui constitue sans doute mon plus gros complexe. Mes doigts ne sont pas beaux, ongles rongés, cuticules arrachés. J’ai plusieurs cicatrices de différentes périodes de ma vie, la plus ancienne étant la plus grande mais la moins visible. Mon nez est cassé depuis que j’ai trois ans. Je ne suis pas très musclé mais endurant. Il parait que mes fesses sont très belles, mais je n’ai jamais pu juger sur pièce.
« J’aime le passé. J’aime savoir d’où l’on vient pour comprendre où l’on va. »
Les figurines Dragon Ball, les albums CD, les appareils photo… tu serais pas un peu collectionneur compulsif ?
Ça fait quelques années que ma femme plaisante sur le fait que les hommes en général sont collectionneurs. Mais je suis un spécimen en la matière :
- Pin’s Cartes Panini (collection foot français 92-93 complète)
- Baskets Fossiles
- CD (plus de 1000)
- DVD (plus de 1000 aussi)
- Figurines Dragon Ball (plus de 200) …
Je pense que j’aime constituer des trésors. Je suis presque malade car je me suis rendu compte que quand je commence quelque chose je suis obligé de finir. Je ne me vois pas acheter un album de Donjons de Trondheim sans acheter tous les autres de la série (qui vient de se finir, donc je vais pouvoir commencer à les acheter vu que je sais combien il y en a). Et j’aime les beaux objets, les avoir en main. Donc les DVD et CD collectors font de moi un consommateur mouton dans la limite du raisonnable (mais je crois que je suis du mauvais côté de la limite).
Pour les appareils photo, c’est différent. J’aime le passé. J’aime savoir d’où l’on vient pour comprendre où l’on va. Les objets d’aujourd’hui découlent tous du passé. Exemple le clavier azerty. Aujourd’hui le principe de ce clavier n’est plus obligatoire, ce système a été inventé par les fabricants de machines à écrire car en conservant un clavier alphabétique les tiges d’impression se croisaient et se bloquaient ; les lettres les plus fréquentes se trouvant toutes sur la première ligne. La technologie a gardé ce système parce que la transition aurait été trop rude, et maintenant elle est impossible. Et le plus intéressant pour les appareils photos c’est qu’on peut toujours les utiliser. Je me suis concentré sur les polaroids quand j’ai découvert que Fuji fabriquait toujours des films pour des appareils datant des années 60. Mais ma prochaine aventure sera d’utiliser une chambre à soufflet vieille d’un siècle pour développer des photos au collodion sur plaque de verre.
Et le monde, il est comment dans ton appareil photo ? Qu’est-ce que ça voile, qu’est-ce que ça met en relief ?
Je ne me considère pas comme photographe, ce n’est pas mon métier. Mais la différence entre l’amateur et le professionnel, c’est que l’amateur aime ce qu’il fait ! Je n’ai pas vraiment de démarche artistique, je n’ai aucune prétention. En regardant vite fait ce que j’ai fait dernièrement je dirais que je cherche à rendre beau ce que tout le monde trouve laid et rendre banal ce que tout le monde trouve beau. Peut-être que je cherche des « anti-monuments ». D’ailleurs j’ai plusieurs photos d’édifices qui ont été détruits cette année (alors que je ne savais pas qu’ils étaient condamnés). C’est sans doute une vision archéologique.
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Pour qui fais-tu de la photographie ?
Pour moi. Je fais énormément de photos, mais je n’en montre pas. Malgré ma grandiloquence je suis sans doute un grand timide. Dans ma famille un retour de voyage veut dire présentation des photos de l’itinéraire etc. J’ai toujours détesté ces moments, et le numérique permettant la multiplication des photos, ces soirées diapos deviennent interminables. Je n’impose pas ça aux gens. Quand je veux montrer des photos, je veux en montrer deux, pas cent. Mais quand on en montre deux qui comptent, les gens les regardent comme si elles avaient la valeur des cinq-cents autres. Le polaroid permet de partager, et maintenant je fais beaucoup de photos pour mes amis, il y a de la valeur ajoutée, un supplément d’âme. Et maintenant que je suis parrain, je suis journaliste de la vie de mon petit filleul, donc je fais des photos pour lui. Vivement que je sois papa !
« Je ne suis ni pessimiste ni optimiste, j’essaie juste d’être conscient. »
Te sens-tu acteur ou témoin du monde ?
Témoin. Totalement témoin. Je ne me suis jamais senti acteur, j’ai déjà du mal à me placer acteur de ma propre vie. Je n’ai jamais eu la prétention d’aller à l’encontre du monde. Mais je le scrute. J’ai étudié l’Histoire et l’Art (mais pas la pratique, l’étude), ça veut tout dire je crois. L’Histoire m’a enseigné beaucoup de choses ; celle qui m’a le plus marqué c’est la répétition. L’Histoire se répète sans arrêt et elle est condamnée par le fait que l’homme n’a la mémoire que de trois ou quatre générations. Je ne suis ni pessimiste ni optimiste, j’essaie juste d’être conscient. La diabolisation actuelle de l’Islam aurait une issue évidente : le futur sera musulman. Mais en quoi cela présente-t-il un danger ? Les Juifs ont été persécutés sous les Pharaons, ils ont eu leur gloire après. Les Chrétiens ont été persécutés sous l’Empire Romain, ils ont eu leur gloire après. L’Islam est une religion jeune, elle entre tout juste dans sa période d’ « inquisition », son meilleur est à venir. Mais je ne suis qu’une minuscule voix, et je considère que l’Histoire se fait indépendamment des hommes. Hitler ne serait jamais arrivé au pouvoir sans le traité de Versailles en 1918, mais qui pouvait dire que le traité de Versailles entrainerait le basculement d’une nation entière dans la barbarie ? Toutes les grandes personnalités du monde n’ont été que des pantins des événements, il suffisait de se trouver du bon côté.
Faiseur de bons mots, confectionneur de calembours devant l’éternel, on te sent un amour immodéré pour les mots. C’est ta façon d’écrire une histoire ?
Les calembours et les histoires sont deux choses totalement différentes. Jusqu’à maintenant je n’ai jamais réussi (ni même essayé) d’écrire une nouvelle ou un roman qui soit drôle. Beaucoup d’ironie, de cynisme, mais pas de calembour. J’ai commencé par l’humour, avant même de savoir écrire j’aimais la sonorité des mots, les homonymies. Tout petit je montrais la baguette de pain et je disais « tu appelles ça pain ? ça pique ! » ou « tu veux ma mie mamie ? ». Il faut dire qu’avec mon père je suis allé à bonne école. Ce que j’aime dans le calembour, c’est qu’il est très proche de la poésie. Tout poète est joueur, mais l’humour n’est jamais pris au sérieux, alors il est plus facile d’écrire « Horizon, ligne où l’air et l’eau se lient » que « un homme qui sort draguer en plein hiver se dit toujours : « je vais prendre une veste. » ». Et à l’école on étudiait Apollinaire, pas Devos ou Desproges, alors que la magie des mots se trouve chez eux aussi. Et pour écrire un roman… C’est une autre histoire.
Tu te sens chaud pour nous faire une démo ?
Une démo de mots ? des mots en débris alors, des bries de meaux. C’est comme un calembert, un calembour sain. Il n’y a pas de mal, que des mots.
Qu’est-ce qui a le plus contribué à construire ta vision des choses, et comment ?
Mes études je crois, l’Histoire pour comprendre les hommes et la politique, l’Art, pour comprendre les religions (toutes, même les polythéistes) et l’interprétation de la réalité. Mes parents, mes grands-parents m’ont apporté mes valeurs, clairement. Plus je grandis et plus je vois mon père et mon grand-père en moi. Je me considère donc comme un pur produit du passé totalement tourné vers l’avenir.
« Rien ne permet de créer une hiérarchie, ni le salaire, ni les études, ni le statut social, ni un poste dans une entreprise. Chacun est utile. »
Qu’est-ce que ça donne dans la pratique, pour toi, au quotidien ? Qu’est-ce que tu prends au sérieux à part le picon bière ?
Je m’adapte ; à tout ou presque. Je ne considère personne supérieur ou inférieur à moi, contrairement à ce que les médias cherchent à faire croire. Chacun doit se sentir supérieur aux autres, d’où conflit. Rien ne permet de créer une hiérarchie, ni le salaire, ni les études, ni le statut social, ni un poste dans une entreprise. Chacun est utile. Même le chômeur ou le retraité. Et l’Homme ne se résume pas à la valeur qu’il crée et qu’il dépense. Dans mon travail je côtoie des médecins, des dentistes, des patients hospitalisés à domicile, des mourants. Je suis confronté à ce qu’on croit être la vie et à ce qu’est vraiment la vie. J’ai appris à ne pas me fier aux apparences et à interpréter les « symboles ». On ne peut pas réduire les gens à leur profession ou leurs origines. Je vois des médecins vivre dans un dénuement total, dévoués à leurs patients, d’autres arriver en retard en BMW X5 et n’accorder aucun regard, aucune excuse, à leurs patients qui attendent dehors dans le froid.
J’ai également un profond respect pour les institutions de la République. La première de toute pour moi est l’école. Enlever ses moyens à l’école, c’est hypothéquer l’avenir. C’est la seule cause pour laquelle je manifeste encore, même sans enfant. Croire que l’école ne sert qu’à former à un métier est réduire l’Homme à un simple producteur de valeur monétaire, toutes les autres valeurs comme la morale, l’entre-aide, l’amitié, l’honneur passent à la trappe aujourd’hui. C’est ça qui devrait être pris au sérieux, pas l’argent.
Et pour ce qui est sérieux… oui le Picon c’est sérieux, c’est une boisson d’ouvrier. Pour tous ceux qui ne vivent pas au nord d’une ligne Nantes, Paris, Dijon, le Picon est une liqueur d’Orange absolument immonde, mais qui prend tout son sens quand elle est servie avec une bière blonde, comme un sirop. Le plus souvent on ajoute un zeste de citron. Toujours servie dans un verre, jamais dans une cannette. La bière doit être fraiche, pas trop froide et le Picon à température ambiante. On sert le Picon en premier, la bière en second, sans mélanger. On compte 5cl de Picon pour 25cl de bière. L’amertume de la bière est coupée par le sucre de l’orange, le goût en bouche est délicat, la mousse devient plus épaisse qu’une bière traditionnelle, et c’est très rafraichissant, et quand il est bien servi, bien accompagné (avec de bons amis), il vaut tous les millésimes du monde.
Un truc qui t’émerveille encore ?
Tirer une photo instantanée qui se développe sous mes yeux. C’est de la magie. Un feu d’artifice. Savoir qu’on est 7 milliards d’êtres humains et qu’on a tous notre perception des choses. Savoir qu’on tourne dans le vide à 50.000km/h dans un mouvement qui durera encore après notre mort. Regarder un enfant grandir, jouer, apprendre. Aller au cinéma et voir des films comme Drive de Nicolas Refn. Ouvrir un vieux livre et sentir le poids des ans dans son odeur. Entendre Serge Gainsbourg dire « Tu t’appelles comment ? – Melody. Melody comment ? – Melody Nelson. » et sentir le frisson des cordes parcourir mon corps même après des centaines d’écoutes. Qu’un mélange de chimie et d’électricité fasse un esprit.
Je te remercie pour tes réponses. Quelque chose à rajouter ?
Merci de donner la parole à des anonymes, car chaque voix compte.
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